Après plusieurs reports successifs du plan pauvreté réclamé par les associations, le discours d’Emmanuel Macron de ce jeudi 13 septembre 2018 est une véritable déception pour celle et ceux qui luttent au quotidien pour s’en sortir : une absence totale de moyens pour mettre en œuvre les mesures annoncées, alors « qu’en même temps » un rabotage de plusieurs milliards d’euros sur les aides au logement et les prestations familiales va toucher les familles les plus modestes. Huit milliards ont été annoncés pour le plan sur 4 ans, sans aucune autre précision (si ces 8 milliards incluent les revalorisations annoncées fin août pour l’AAH, l’ASPA et la prime d’activité, il ne reste pas grand-chose pour les autres mesures). « En même temps », le gel des APL, des prestations familiales et des retraites va rapporter environ 8 milliards sur deux ans. Autrement dit, ce qu’un ménage va gagner sur la prime d’activité, il le perdra sur les APL et les prestations familiales…
La simplification des procédures pour l’accès aux droits sociaux est théoriquement une mesure efficace pour améliorer l’accès aux droits, mais à condition de ne pas être vouloir « en même temps » faire diminuer drastiquement le nombre d’allocataires, dans l’objectif affiché de faire des économies (1 milliard d’économie prévu avec le changement de critères de revenus pour l’APL).
L’enjeu, si l’on veut faire reculer la pauvreté, c’est au contraire d’aller chercher toutes celles et ceux qui n’ont rien et ne demandent rien, et de leur donner accès à leurs droits. Cela suppose d’accepter d’augmenter substantiellement le budget de toutes les prestations sociales, et sûrement pas d’anticiper des coups de rabot de plusieurs milliards d’euros. Il ne faut pas oublier que ces « économies » se font aux dépens de familles qui chaque mois comptent les euros un par un. Difficile pour un enfant de « s’émanciper », y compris dans une classe de seulement douze élèves, quand la famille n’a pas les moyens de payer les dépenses essentielles pour vivre.
Le petit déjeuner gratuit à l’école, les tarifs sociaux dans les cantines, l’ouverture de nouvelles places de crèches sont de bonnes mesures, mais qui dépendent des collectivités territoriales et non de l’Etat. Si, « en même temps », la politique de restriction budgétaire pour les collectivités n’est pas modifiée, aucune de ces annonces ne pourra être concrétisée.
Le Président déclare vouloir améliorer l’accompagnement de celles et ceux qui sont dans la difficulté pour leur permettre de s’en sortir, plutôt que de « dépenser un pognon de dingue dans des minimas sociaux ». L’idée d’un référent social unique pour un accompagnement personnalisé est bonne, mais elle n’est pas nouvelle, puisqu’il s’agissait d’une des mesures du plan d’action pour le travail social lors de quinquennat de François Hollande. Mais les travailleurs sociaux sont le plus souvent des agents des collectivités territoriales, qui sont « en même temps » asphyxiées financièrement par le désengagement de l’Etat et les nouvelles règles budgétaires. On voit mal comment une mise en œuvre réelle pourrait être envisageable sans aucun moyen dédié de l’Etat, et pour l’instant la seule annonce est un hypothétique texte législatif en 2020 pour créer un « service public de l’insertion »… Si on ajoute à cela la suppression, « en même temps », de plusieurs milliers de postes à Pôle Emploi et de centaines de milliers de contrats aidés, il y a de quoi craindre une nette dégradation dans l’accompagnement des personnes en insertion ou en recherche d’emploi, malgré les discours et l’affichage sur l’émancipation.
Vouloir reconnaître et former les travailleur.se.s sociaux.ales, c’est bien, c’est ce qui a été fait avec la refonte des programmes dans le plan d’action pour le travail social sous François Hollande. Mais alors pourquoi avoir « en même temps » repoussé la transformation des postes de travailleurs sociaux categorie B en categorie A qui avait pourtant été actée avec les syndicats à la fin du quinquennat précédent ?
Enfin le Président de la République annonce un plan logement pour lutter contre les marchands de sommeil et rénover les logements insalubres. Mais il ne faut pas oublier « qu’en même temps » les recettes des bailleurs sociaux ont été diminuées par la baisse des APL, réduisant d’autant la capacité des organismes HLM à engager des chantiers pour construire de nouveaux logements.
La lutte contre l’exclusion est une urgence pour notre pays et pour toute l’Europe, si l’on veut éviter d’aggraver la perte actuelle de confiance des citoyen.ne.s dans nos institutions et dans la démocratie. Cela ne doit pas se réduire à un simple exercice de communication pour un Président de la République étiqueté « président des riches » et en difficulté dans les sondages. Même s’il y a des mesures qui vont dans le bon sens dans ce plan pauvreté, comme l’augmentation du budget pour la garantie jeune ou pour les chantiers d’insertion, il y a « en même temps » depuis quinze mois de nombreux choix politiques qui aggravent les inégalités. Pour espérer être efficace, il faudrait tout simplement abandonner la stratégie du « en même temps ».
Par Marie-Arlette Carlotti (ancienne Ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion) et Ségolène Neuville (ancienne Secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion).