A l’occasion de la 71ème commémoration de la rafle du Vieux-Port et de l’Opéra à Marseille, Marie-Arlette Carlotti s’est exprimée lors d’un discours.
Mesdames, Messieurs,
Nous devons toujours trouver la force de nous souvenir.
Souvenons-nous que le 23 janvier 1943, être juif à Marseille fut une malédiction.
Souvenons-nous que le 23 janvier 1943, le régime nazi et celui de Vichy furent associés une nouvelle fois dans l’abjection et la cruauté.
Souvenons-nous que le 23 janvier 1943, l’humanité l’a cédé à l’antisémitisme.
Souvenons-nous que le 23 janvier 1943, Marseille a été détruite en son cœur, coupable de n’être pas conforme au dessein morbide du nazisme.
Comme aujourd’hui, c’était un dimanche, il y a 71 ans, et Marseille a pleuré devant le spectacle ignoble de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants, amenés à Compiègne.
L’oubli est une négation.
L’oubli est une lâcheté.
L’oubli est un abîme.
Nos consciences ne peuvent être rassasiées du souvenir de ceux qui ont été arrachés à la lumière. Nos consciences ne peuvent être rassasiées du souvenir de ceux qui les ont conduits vers les ténèbres.
Nous devons également nous souvenir des victimes et des bourreaux : les uns et les autres sont en nous-mêmes.
Le cours du progrès n’est pas un long fleuve tranquille ; l’histoire est tragique. Et comme le dît le poète et résistant René Char : « au 20è siècle, l’homme fut au plus bas. »
L’homme fut au plus bas et il peut retourner au plus bas. C’est pourquoi le souvenir est si important. Il protège notre humanité d’elle-même. Il nous protège de la folie, du cynisme, de la couardise, de toutes ces attitudes qui, pendant la seconde guerre mondiale, se sont mêlées jusqu’à l’horreur.
Certes, notre époque est plus pacifique. Mais nous ne le devons qu’à notre vigilance.
Et cette vigilance nous oblige aujourd’hui à dénoncer deux périls : le repli et le relativisme. Bien sûr, nous ne sommes pas en ce moment menacés par le nazisme. Mais l’antisémitisme sévit toujours et toujours. Le communautarisme, dans ce qu’il a de plus excluant, se répand.
Y compris ici, à Marseille, dans notre ville qui s’est pourtant construite dans le brassage de populations venues du monde entier. Marseille qui tire sa force de sa diversité, de son cosmopolitisme.
A l’occasion de cette cérémonie de mémoire, je veux insister sur cette réalité historique et appeler mes concitoyens à ne pas céder aux sirènes de la méfiance, de la défiance même.
Bien sûr, la dureté de la vie est un terreau fertile de l’intolérance. Les privations et les déceptions alimentent la rancœur.
Mais c’est justement dans les périodes économiques difficiles que la fraternité est la plus indispensable, la plus salutaire.
Et c’est unis, soudés, solidaires, que nous saurons relever les défis qui se présentent à nous.
Aujourd’hui, d’autres obscurantismes sévissent dans une France où l’on tue des enfants juifs qui se rendent à l’école, dans une France où des adolescents de 15 ans partent faire le Djihad en Syrie, l’intolérance, l’antisémitisme remontent des bas fonds.
Aussi, je veux adresser ce message aux plus jeunes, à ceux qui ne savent pas encore que « les mots sont des pistolets chargés ».
Ne vous laissez pas berner.
Ne confondez jamais la violence et la liberté, la vulgarité et l’impertinence, la mesquinerie et l’humour.
Ne vous laissez pas embarquer par de tristes sires.
Ne pensez pas que tout est permis parce que finalement, tout se vaut, rien n’est grave.
Votre vie a une grande valeur, comme celle de tous vos camarades. Et ce que vous ferez de votre vie aussi a une grande valeur.
Or, aujourd’hui encore, on agresse et on tue par antisémitisme.
La différence entre ces agressions et ces meurtres isolés, et l’entreprise d’extermination systématique que fût la Shoah, c’est l’emprise des discours antisémites. Il ne faut pas céder un pouce de terrain, jamais.
C’est pourquoi, pour ne pas laisser se propager les thèses racistes, l’Etat par l’intermédiaire du Ministre de l’Intérieur est intervenu avec une fermeté.
Parce que c’est l’honneur de la République d’avoir coupé court aux délires antisémites de Monsieur M’ Bala M’ Bala.
C’est l’honneur de la République de protéger l’ensemble des ses citoyens.
C’est l’honneur de la République de préserver notre liberté et même de l’augmenter.
C’est l’honneur de la République de refuser la prolifération de propos indigents, mensongers, insultants.
Il n’y a pas de cause plus juste et plus primordiale que celle-ci.
Ce n’est pas un hasard si Jean-Marie Le Pen est le parrain de l’enfant de Monsieur M’Bala M’Bala.
Ce n’est pas un hasard si le Front national n’a jamais voulu condamner les propos infamants, ignobles, de ce sinistre clown.
L’extrême-droite peut présenter son visage le plus séduisant, elle reste l’extrême-droite, dont la flamme brûle de la haine de l’autre.
Mesdames, Messieurs,
Je pense que nous devrions davantage nous adresser aux jeunes, aux jeunes de France, aux jeunes de Marseille, pour leur dire :
Vous n’êtes pas responsables des périls dont je parlais à l’instant, le repli et le relativisme. Mais ils vous concernent. Vous pouvez en être les agents ou les fossoyeurs.
Sans que cela vous accable, pensez que la haine, le mépris et l’indifférence ont signifié la mort pour des centaines d’enfants juifs et leurs parents qui vivaient ici même, entre l’Opéra et le Vieux Port.
Sans que cela vous écrase, imaginez que d’autres, parfois pas beaucoup plus vieux, au même moment, ont combattu vaillamment pour que cela n’arrive pas.
Et qu’alors même qu’ils se battaient, ils osaient encore songer à l’avenir.
A peine la guerre fut-elle achevée que ces patriotes ont construit une société solidaire. Leurs corps éprouvés par la guerre, par la faim, par la fatigue, ils ont rétabli et jeté les nouvelles bases de notre idéal commun : la République.
Que ceux-là vous inspirent.
Que ceux-là vous donnent le goût de la justice et de la fraternité.
Pas les autres !