A l’occasion du 70ème anniversaire de l’évacuation et de la déportation des populations des quartiers du Vieux Port et de l’Opéra, Marie-Arlette Carlotti s’est exprimée au nom du gouvernement lors de la cérémonie qui s’est tenue le 20 janvier 2013.
Mesdames, Messieurs,
Il est essentiel que nous soyons aujourd’hui réunis. Une actualité chasse l’autre à une vitesse vertigineuse ; chacun est pris dans le tourbillon de la vie, avec ses contraintes, ses plaisirs et ses urgences. Mais il est des moments où il faut s’avoir faire une pause. Prendre le temps de s’extraire de ce mouvement incessant pour se retourner sur l’histoire. Redonner de l’épaisseur au temps, se souvenir.
Se souvenir qu’un dimanche de janvier 1943, il y a 70 ans, Marseille a pleuré devant le spectacle ignoble de ces Marseillais emmenés à Compiègne par la volonté commune du régime nazi et de celui de Vichy. Se souvenir qu’un quartier entier de la ville a été détruit, suspect d’être trop rebelle, trop cosmopolite, trop… marseillais !
Si l’on devait dessiner l’envers de l’idéologie nazie, je suis persuadée que l’on verrait apparaître les contours de Marseille, cette ville façonnée par l’amour de tous ceux qui ont décidé d’y faire leur vie, d’où qu’ils viennent, de Grèce, d’Arménie, d’Italie, de Corse, du Maghreb ou des Comores. Cette ville si fière qu’elle ne supporte pas que sa liberté soit menacée ; cette ville si impertinente qu’elle ne peut envisager de se soumettre.
Ce 23 janvier 1943, la faillite morale et le cynisme de certaines de ses élites sont venus prêter main forte à l’idéologie de la haine pour éliminer des Juifs, des résistants, et tous ceux qui gênaient l’ordre morbide que cette idéologie avait établi.
Ce jour-là, des familles ont été à jamais séparées ; des personnes de tous âges à qui la vie avait certainement fait plein de promesses ont perdu en quelques heures tout espoir.
Ce jour-là, des Français, des Marseillais, ont décidé de nier ce que sont les valeurs fondamentales de la France et l’identité de Marseille.
Ce jour-là, ceux qui ont tourné le dos à la République ont piétiné le peuple de Marseille, la nation française, et finalement l’humanité.
Ce jour-là, les obscurantismes nazi et fasciste ont frappé le continent européen, ont frappé la France, ont frappé Marseille.
Aujourd’hui, d’autres obscurantismes sévissent ailleurs dans le monde et notamment en Afrique, au Mali. La décision du Président de la République de faire intervenir les forces armées françaises au Mali est la conséquence du refus de la France de voir notre commune humanité remise en cause.
Maintenir les valeurs humanistes et républicaines vivaces exige des choix courageux.
Elle exige aussi un travail quotidien, qui engage au premier chef les élus de la République.
Elle exige enfin des moments exceptionnels, comme celui-ci, des moments de mémoire et de recueillement. Ils exercent notre conscience pour que le moment venu, quand, sous une forme peut-être inédite, notre liberté et notre intégrité seront menacées, nous sachions le voir et trouver la force de nous élever.