Mesdames, Messieurs, Cher(e)s ami(e)s,
Je voudrais remercier HAS et l’URIOPS d’engager cette réflexion sur : »La République à l’épreuve de la Solidarité ».
Et il est heureux que cela se passe à Marseille qui souffre de la grande pauvreté, avec 4 de ses arrondissements classés parmi les 6 communes les plus pauvres de l’hexagone.
Une pauvreté que les autorités locales s’obstinent à vouloir ignorer.
Pour aborder la question qui nous est posée, il nous faut avant tout répondre à l’urgence, car pauvres ne peuvent attendre. Nous devons faire preuve d’une volonté politique forte, au lieu de se contenter de multiplier les dispositifs.
Il nous faut aussi réfléchir à un nouveau modèle pour répondre aux nouveaux enjeux. Car les besoins se sont à la fois accrus et diversifiés et nos institutions ont mal vieillies. Elles ne répondent plus au besoin qu’à une société de se protéger du risque.
La République protège mal ses concitoyens.
Un besoin de se protéger du risque qui est ancien, avant même la naissance de la République.
Autrefois, cette protection était confiée à la charité et à la solidarité familiale. Avoir beaucoup d’enfants était la meilleure garantie pour assurer ses vieux jours.
Puis les organisations religieuses ont maillé le territoire d’hospices, d’hôpitaux,…
Les nobles et les bourgeois logeaient et nourrissaient leurs serviteurs, les artisans leurs ouvriers.
A l’exception des corporations (où la notion de solidarité apparaît) pendant longtemps la réponse a été de nature charitable et d’assistance.
Même après la Révolution française, le parcours pour une protection sociale publique reste chaotique et même tumultueux.
Les Libéraux opposent une forte résistance et n’admettent que des mesures restreintes de « bienfaisance publique ».
Ce n’est qu’avec l’industrialisation qu’une protection sociale se construit petit à petit autour du travail et de l’usine.
Plus près de nous, c’est le Conseil National de la Résistance qui a porté sur les fonds baptismaux le socle des droits sociaux que nous connaissons aujourd’hui, protection maladie, retraite, assurance chômage…
Ce matelas de droits qui permet d’atténuer l’effet des crises pour les français en difficulté.
C’est pourquoi nous devons les défendre « bec et ongle ». Ils incarnent les valeurs de la République. Ils sont sa marque de fabrique.
Mais ces droits ne concernent pas tout le monde.
Une partie de la population est laissée pour compte. Et elle est d’ autant plus laissée pour compte qu’elle est fragile.
Dans la République française, ceux qui galèrent, ceux qui vivent dans la rue, dans un centre d’hébergement ou sur le canapé d’un copain, sont des non citoyens. Ils ne comptent pas.
Les politiques publiques en France ne protègent que très peu les plus fragiles, les jeunes, les seniors, les migrants… C’est un paradoxe !
Vis à vis des personnes en difficulté, la République est démissionnaire.
Et tout ce qu’elle ne fait pas, elle le laisse à d’autres : les associations.
Ce sont elles qui doivent prendre en charge, par exemple les personnes à la rue ayant des problèmes psychiques que le secteur de la santé ne sait pas gérer. Ou la réinsertion des personnes qui sortent de prison, car en France nous ne sommes pas sorti de la «politique du cachot ».
Sans compter tous ceux qui sont hors des radars des services, ceux qui ne poussent
même plus la porte des guichets, parce que trop dur, trop complexe, trop humiliant.
Ceux-là sont complètement invisibles.
En créant le Revenu Minimun d’Insertion (devenu le RSA en 2009), Michel Rocard avait compris qu’il fallait repenser notre modèle, qu’en matière de solidarité, la République avait besoin de se remettre en cause.
En janvier 2013, alors Ministre chargée de la lutte contre la pauvreté, j’ai lancé le 1er Plan de lutte contre la pauvreté et la précarité.
Ce plan se voulait englober toutes les facettes du risque.
C’était une demande des associations, un engagement de campagne de F Hollande. Je l’ai porté et je suis fière d’avoir réalisé quelques petites choses comme l’augmentation du RSA, la PA ou la Garantie Jeune. Et créer de nouvelles places d’hébergement.
Mais la machine à exclure est toujours plus forte, va toujours plus vite que tous les dispositifs du monde.
Aujourd’hui encore 14% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté et 143.000 personnes sont sans domicile fixe. 2000 d’entre-elles meurent chaque année dans la rue.
Alors je m’interroge sur ce qui n’a pas fonctionné, sur ce qui nous a manqué. Et je crois qu’avant tout, c’est le portage politique.
Il fallait faire bouger les mentalités. Nous battre contre toute une série de clichés : « la trop grande générosité française » et les « assistés » qui exagèrent. La fraude sociale dénoncée sans vergogne alors que le non accès aux droits est un véritable fléau qui met à mal beaucoup de nos politiques de solidarité.
Nous n’avons pas mené ce combat idéologique, le combat des mentalités, contre toutes ces bêtises qui ont la vie dure, pour ne pas perdre un électorat populaire déjà
déboussolé.
Et nous avons perdu sur tous les tableaux !
Le Plan Pauvreté 2013 se voulait une 1ere étape pour le 1er quinquennat de FH.
Il n’y en a pas eu d’autres.
Faire reculer la misère doit être au cœur de tout projet de société. Ici nous en sommes tous convaincus. Les hommes et les femmes politiques doivent l’être tout autant.
Car de façon insidieuse, la pauvreté délite le Pacte Républicain, casse la cohésion sociale.
Chaque fois que des droits fondamentaux de quelques uns sont remis en cause, c’est quelque part la République qui se perd.
A l’occasion de la Journée Mondial du Refus de la Misère, le PR a dit vouloir élaborer une stratégie de prévention de la pauvreté des enfants et des jeunes.
Parcequ’1 enfant sur 5 vit dans la pauvreté, l’Elysée a choisi de cibler son action sur les enfants pauvres.
Mais un enfant pauvre vit dans une famille pauvre !
Aussi nous attendons de savoir sur quoi va déboucher la concertation avec les associations et qui devait aboutir en avril 2018.
Je salue aussi le Plan gouvernemental sur le Logement d’abord.
Avec la création de 50 000 logements, il devrait permettre à de nombreuses personnes de sortir de la rue ou des Centres d’hébergement.
Mais pour le reste, en matière de Solidarité, les premiers signes donnés au pays ne sont pas bons.
Avec la suppression des emplois aidés, la baisse des APL et un budget 2018 qui ne semble pas à la hauteur, on s’attaque aux outils de la Solidarité Nationale.
Et on fait beaucoup de victimes.
2,2 millions de personnes touchent les APL et il y a des millions d’hommes et de femmes en contrat aidé à qui l’on a dit avec beaucoup de mépris, qu’ils coutaient trop cher avec 680 euros mensuels.
La théorie du 1er de cordée ne fait pas une politique de solidarité. Car à l’autre bout de la cordée, il y a les plus démunis qui ne peuvent attendre. Leur tour ne viendra jamais !
Quand à l’accueil des migrants, la politique de la France est loin d’être généreuse et depuis longtemps, et la circulaire du 12 décembre 2017 du Ministre de l’Intérieur est carrément dangereuse et inacceptable.
L’accueil inconditionnel de toute personne en situation de détresse présente sur notre territoire est un marqueur fort de la Solidarité Républicaine.
Le conditionner à une situation administrative est une atteinte aux droits fondamentaux de la personne.
Faire un tri dans les Centres d’hébergement, demander aux travailleurs sociaux de devenir des auxiliaires de justice voire des délateurs, c’est ne rien comprendre à la déontologie du travail social et au rapport de confiance qui doit s’établir entre le travailleur social et la personne.
Cette circulaire va mettre à mal la légitimité de leur travail.
Il faut la retirer.
Permettez moi, à cette occasion d’évoquer la souffrance des travailleurs sociaux, contraints de gérer des flux, de rentrer dans des dispositifs (qui changent), de fournir de chiffres, de rester dans les clous alors qu’ils sont confrontés à la réalité et à la complexité des histoires et des parcours personnels.
Alors qu’il faudrait si peu de choses pour améliorer le quotidien de milliers de gens : comme travailler ensemble !
Plus de souplesse de la part des Administrations.
Une meilleure considération de ceux qui sont confronté au réel.
Et un engagement conjoint de l’Etat, des Associations et des Collectivités locales.
Lorsque les villes sont impliquées (Strasbourg, Toulouse ou Nantes) on avance, des projets aboutissent. Ce n’est pas le cas à Marseille.
Madame la Préfette, nous comptons sur vous pour associer tous les acteurs et lancer enfin la mobilisation générale contre la misère sur notre territoire.
Mes chers amis, je n’ai évoqué que des mesures de court terme. Je sais qu’il faut aller plus loin pour faire vraiment reculer la misère.
Dans un système qui s’asphyxie, il faut inventer des Solidarités nouvelles.
Les pistes ne manquent pas :
1-Le Revenu Universel est expérimenté dans quelques départements.
2-La lutte contre les inégalités patrimoniales (qui sont 20 fois plus fortes que les inégalités de revenus), en donnant à la jeunesse un Capital de départ pour se lancer dans la vie.
3-Et d’autres pistes encore.
En fait, il s’agit de proposer un nouveau contrat social, toujours basé sur les valeurs fondamentales qui ont fait l’histoire et la grandeur de la République : la Liberté, l’Egalité et la Fraternité, c’est-à-dire la Solidarité.